Isabelle SENLY, Sculpteur

Biographie

A propos de la série des "Nymphoses" : Les joyaux organiques d’Isabelle Senly, un texte de Anne Malherbe
A propos des différentes séries "Chrysalides" : Les mues d’Isabelle Senly, un texte de Anne Malherbe
A propos son travail : Le fil de la lumière, langage des matières, un texte d'Isabelle Senly
A propos de la série "Idoles" : Idoles, un texte de Fernand Fournier

 

Les joyaux organiques d’Isabelle Senly

Quand Isabelle Senly façonne ses Chrysalides, elle donne forme à un monde tout en spirales, replis et translucidités. Au fil des années, animé de poussées et de métamorphoses, ce monde a pris de nouvelles dimensions. Au gré des excroissances, des concrétions et des greffes, les chrysalides sont devenues d’imposants groupes de sculptures baroques, des « Nymphoses » dont l’état de transformation permanente offre leur énigme aux yeux des spectateurs.
L’artiste œuvre en artisan, maîtrisant chaque étape de la croissance de l’œuvre. D’abord la chair : teinture et traitement du papier imprégné de résine, tissage de fils de coton entrelacé de papier. Puis le squelette : travail de vannerie à base d’osier choisi en fonction de sa souplesse. Enfin, la couture de la chair sur la structure, qui donne naissance à ces œuvres hybrides, entre êtres vivants et objets, nature et fiction.
Instinctive, la progression laisse une certaine latitude aux hasards du tressage du rotin. Ainsi ces membranes fragiles révèlent-elles des protubérances et des circonvolutions parfois imprévues, comme si l’artiste, en mettant au monde ces organismes délicats, se laissait elle-même surprendre par leur insondable mystère. À travers leur peau diaphane, les Nymphoses révèlent autant qu’elles dissimulent. Le système d’éclairage des sculptures les illumine de l’intérieur : il affine la transparence de leur nacre, rend plus sensibles les zones d’ombres de leurs replis. Il en résulte un effet d’irréalité, une impression d’apesanteur. On dirait des joyaux organiques que l’artiste aurait extraits de sa propre intériorité et qui, issus des profondeurs, auraient proliféré, aériens, au sol ou sur les murs. Les œuvres se déploient ainsi dans l’espace, devenant vêtements complexes, carapaces, armures aux teintes toujours délicates, comme autant de peaux multiples et changeantes.
Par son travail, l’artiste ravive la mémoire de jeunes filles malades de la lèpre, recueillies dans la chapelle Saint-Julien du Petit-Quevilly. On ne sait rien d’elles ; pourtant, entre enfance et âge adulte, elles revivent ici, à travers ces Nymphoses qui en sont la dernière mue.

Anne Malherbe
 Critique d'art, Novembre 2020

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Les mues d’Isabelle Senly

Les Chrysalides d’Isabelle Senly sont pure légèreté : suspendues, elles vibrent quand on passe près d’elles et se laissent émouvoir par d’imperceptibles souffles, Lampions translucides, elles accueillent la lumière : la lumière blanche de l’hiver repose calmement en elles, tandis que celle de l’été les fait flamboyer. On ne s’inquiète pas trop, au premier abord, de ces présences aériennes qui occupent un humble coin d’espace. Comme certaines fleurs, elles se ferment avec la pénombre, et se remettent à vibrer avec le jour.
Mais comme celle de toute présence feutrée, leur ombre finit par inquiéter. Ces Chrysalides sont d’étranges créatures, mi objets mi êtres vivants. Isabelle Senly explique bien le procédé de leur création, qui relève de la collecte, puis de la vannerie, de la couture, de la broderie. Cependant la plupart des matériaux employés sont organiques. Fruits de l’inspiration mobile et souple de l’artiste, ces créations rappellent des crinolines pour poupée, des structures de chapeaux fantasques et anciens, mais aussi des coquillages, des coraux, des mollusques ondoyants, ou encore l’ossature frêle et la membrane translucide d’une aile de chauve-souris.
C’est un travail féminin au plus haut point, qui associe le minutieux travail de la main à l’engendrement d’une créature qui semble vivante. Certaines formes sont presque organiques et intimes, comme si l’artiste les avait fait croître sur son propre corps et les avait détachés d’elle-même, ou comme la peau qui subsisterait après les mues répétées et changeantes de son imaginaire.

Anne Malherbe
Historienne de l'art, critique d'art, commissaire d'exposition

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Le fil de la lumière, langage des matières

Le fil est mon matériau pour mettre en forme la sculpture. Je tisse manuellement des trames avec des fils de coton et du papier résiné. Auparavant, j’étudie la capacité du papier à se teindre dans des bassines. J’ai recours à une technique personnelle et brevetée pour donner cette impression de transparence du papier. Je recouvre de papiers fins une structure composée de fils tendus. Puis j’ai recours à la technique de la couture et de la vannerie. Je couds sur la trame des armatures de bois et cela commence à se métamorphoser en sculpture. Je suis fascinée par la capacité du rotin à se tordre et à donner vie à la trame transparente qui devient solide. Je choisis le type d’osier en fonction de sa souplesse et de la sensation de tension. Je tente de laisser la trame prendre la forme la plus naturelle possible et m’évoquer des formes. J’utilise ainsi de façon créative les effets du hasard. C’est l’envie de laisser le matériau souple et de ne pas prendre le contrôle de la sculpture qui me guide et de laisser parler tous les plis et replis. Ce travail appartient à la série « Chrysalide » sur laquelle je travaille depuis une vingtaine d’années : coudre, tisser, froncer, plisser, plier, nouer, tresser et tendre. Je couds avec une aiguille de tapissier et des fils de coton, soie, métal, nylon et ficelles. Les armatures sont du bois cueilli, des baguettes et de l’éclisse en osier plate ou ronde. J’accorde de l’importance aux superpositions de papier pour obtenir différents degrés d’opacité, transparence et diaphanéité : un entre-deux avant la couleur. Les points de couture et les fils apparaissent ou disparaissent sur les superpositions de matières souples. Je travaille avec des matériaux naturels : végétaux séchés en fonction des saisons. Les formes qui m’inspirent sont celles que l’on trouve dans la nature, notamment celles des coquillages, plantes et animaux. Je récupère parfois la forme des sculptures avec la gravure sur zinc à la pointe sèche pour tenter de faire apparaître d’autres formes sur la trame résinée, en les superposant avant de coudre. J’aime cette matière transparente qui se transforme sous l’effet des ombres et des reflets de la lumière. C’est pourquoi je privilégie les couleurs claires, roses et blanches. Ce qui me stimule est la sculpture irradiée de lumière.

Isabelle Senly, Septembre 2020

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Idoles

Les œuvres originales que propose Isabelle Senly réveillent en nous un imaginaire archaïque que l’on croyait à jamais perdu. L’artiste parle de « chrysalide », signifiant par là que ce sont des êtres engagés dans une métamorphose, et que son travail aura consisté à les saisir au moment délicat où se joue l’entre-deux de la transformation.
Il y a une genèse de l’œuvre, toujours la même ; c’est presque un rituel. L’idée-matrice ou, si l’on veut, la forme générale, naît de l’étonnement suscité ; ce peut être par un détail qui semble introduire une anomalie dans le bel ordre de la nature au cours d’une promenade ; mais ce peut être aussi, une tache de couleur qui demeure énigmatique, au second plan d’un tableau de maître longuement contemplé.
D’abord, c’est la construction d’une armature de bois, légère et fine, à la fois souple et résistante, souvent enveloppante jusqu’à offrir des concavités qui pourront être comme autant de pièges fantastiques. Cette armature sera ensuite noyée dans plusieurs épaisseurs de papier, lui-même imprégné de résine translucide. Un seuil ici aura alors été franchi, car l’œuvre, à ce stade, commence à exister par elle-même. Il semble, en effet, que la matière utilisée pour sa fabrication soit devenue, sous les doigts de l’artiste, une véritable « chrysalide ». Et l’on se surprend à guetter dans ses transparences ambrées, les premiers frémissements de cette « chrysalide » qui sortirait de sa torpeur et dont elle serait, en quelque sorte, le voile pudique. Mais, plus étonnant encore, cette trame vivante, avide de lumière, ne laisse filtrer à la manière des vitraux que sa part d’immatérialité, dans des frissons de nacre et de moire. Exposée, en suspension dans un espace, l’œuvre peut même donner l’impression troublante que la lumière émane d’elle au lieu d’être simplement réfléchie. L’atmosphère qui l’enveloppe prend dans ce cas une qualité particulière, celle que l’imagination religieuse associe d’ordinaire au nimbe dont s’entourent les corps glorieux. S’ajoute à cela une sensation d’éloignement qui ne fait qu’augmenter la fascination, comme si l’œuvre cherchait à préserver son mystère.
Aussi, est-ce pour faire écho à la luminosité aérienne, presque surnaturelle des œuvres, qu’Isabelle Senly a inscrit dans cette « chrysalide » les stigmates d’un passé qui se perd dans la nuit des temps, mais qui est celui-là même de la nature toute entière. L’artiste s’est, en effet, appliquée à travailler la pulpe diaphane des œuvres en recourant aux techniques de la couture. Fronces, plis, rosettes, nervures y ont trouvé leurs places, véritables traces d’aventures immémoriales. De même, elle y a, par incrustation ou inclusion, introduit des éléments minéraux, végétaux ou organiques, découverts au hasard, faisant par là, un inventaire de toutes les formes naturelles.
Cette « chrysalide » nous parle certes d’un temps, celui des métamorphoses, mais aussi, d’une réalité suprasensible située hors du temps, du côté de l’éternité. Au fond, ce qui est célébrée par cette « chrysalide », c’est la puissance même du divin, en tant qu’il se manifeste dans tout ce qui est vivant. Les œuvres d’Isabelle Senly se font ici objets sacrés, idoles barbares où se concentre l’énergie de l’élan vital, et l’on peut comprendre alors tout autant leur originalité, que la prégnance remarquable de leurs formes concaves riches en promesses de bonheur.
Les travaux d’Isabelle Senly ne sont pas sans une certaine parenté avec ceux de Spoerri, Beuys ou Messager. Il serait même possible d’en rencontrer l’esprit dans quelques œuvres de Picasso ou de Schwitters. Pourtant, et plus profondément, c’est, croyons-nous, vers les pratiques très anciennes de la fabrication des fétiches où domine encore un rapport religieux à la nature, qu’il faut se tourner si l’on veut saisir la singularité de la démarche de cette artiste.

Fernand Fournier, Paris - Avril 2009
Art Contemporain, recueil de textes 2016

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